
SOMMAIRE
Octobre 2024
Lorsque j'ai pris le départ après mes études, je n’avais pas vraiment de destination en tête. Juste une envie furieuse de prendre la route, de sentir le vent de la liberté et de voir jusqu’où mes pas allaient me mener. Ce n’était pas une fuite, mais plutôt une quête : expérimenter la vie nomade et apprendre au fil des kilomètres ce que l’école ne m’avait jamais enseigné. Ce qui a alors commencé comme un simple voyage en Amérique du Sud s’est finalement transformé en une épopée de deux ans jusqu’à l’Alaska, sans itinéraire précis, mais avec un sac à dos bien rempli d’histoires...
La Patagonie, royaume du vent et des étoiles
Tout a commencé à l'extrême Sud du continent. Ushuaïa, fin du monde, début du voyage. Le vent glacial de la Terre de Feu me fouettait le visage, mais chaque paysage balayait le moindre doute : j’étais exactement là où je devais être.

Je suis restée plusieurs semaines en Patagonie, à explorer ses sentiers désertiques, camper au bord de ses lacs glaciaires en admirant les icebergs flotter paisiblement à la surface et dormir sous des ciels étoilés qui semblaient infinis. J’ai appris à ralentir, à accepter l’imprévu. Dans cette région du monde, il n’y a pas de demi-mesure. Le vent souffle sans relâche, les montagnes se dressent comme des murailles, et les nuits sont d’une intensité rare.
Une nuit, en campant près du glacier Perito Moreno, je pensais que le vent allait finir par emporter ma tente. J’ai passé la moitié de la nuit dehors, en pleine tempête, à m’accrocher aux arceaux pour empêcher le tout de s’envoler. Le lendemain matin, trempée mais vivante, j’ai ouvert la tente sur un spectacle irréel : le soleil se levait derrière le glacier, et tout scintillait sous une couche de givre. C’est ça, la Patagonie : chaque nuit est une aventure, chaque matin une récompense.
Ce sont ces moments, simples mais puissants, qui ont marqué le début de ma nouvelle vie nomade.
Les Andes péruviennes, souffle coupé et jambes en feu
Après plusieurs mois à avancer tranquillement vers le nord, je suis arrivée au Pérou, prête à défier les Andes. Ce pays m’a pris de court : des paysages grandioses à perte de vue, des montagnes écrasantes et des treks qui m’ont poussée dans mes retranchements. Le Pérou, berceau de l’Empire Inca, me transportait dans un autre temps, où les montagnes étaient sacrées et les traces de cette civilisation ancienne encore visibles partout. Les Incas avaient appris à vivre en harmonie avec cette nature brute, et je sentais que chaque pas sur cette terre était une communion avec leur histoire.
Lorsque j’ai enfin aperçu les ruines du Machu Picchu au sommet, enveloppées dans la brume du matin, un frisson m’a traversée. Là, j’étais face à l’une des plus grandes merveilles du monde, un témoin silencieux de l’ingéniosité des Incas et de leur capacité à fusionner nature et culture dans un seul lieu magique.
Toujours en remontant vers le Nord, je suis arrivée à Huaraz, cette petite perle péruvienne. Le lendemain j'entamais le trek de la Cordillère Huayhuash. Huit jours d’efforts intenses, à passer des cols à plus de 5 000 mètres d'altitude. Chaque montée me brûlait les jambes, mais chaque sommet dévoilait une nouvelle récompense : glaciers étincelants, lagunes turquoises et silence total. Là-haut, face à cette immensité, j’ai compris que j’étais loin d’en avoir fini avec la route.

Parenthèse caribéenne entre insouciance et engagement
L’Amérique centrale a été une parenthèse différente. Après plusieurs mois à vivre sur la route, j’avais envie de poser mon sac pour un temps dans un pays duquel j'étais tombée amoureuse quelques années auparavant : le Costa Rica.
Là-bas je me suis laissée portée par le rythme des Caraïbes. Les parties de beach-volley au coucher du soleil et les soirées sur la plage baignées par les sons de la mer semblaient suspendues dans le temps. Mais, à mesure que les jours passaient, je me suis retrouvée un peu perdue dans cette douce torpeur. Les nuits s’étiraient en conversations sans fin, bercées par la musique de groupes locaux et les rires de voyageurs venus de tous horizons. Le temps s’effritait, l’énergie des lieux me happait, et il devenait difficile de savoir si je vivais réellement dans le présent ou si je me laissais simplement emporter par une vague de plaisirs immédiats. Cette parenthèse caribéenne, pleine de légèreté, m’a aussi forcée à un retour sur moi-même, à chercher l’équilibre entre l’évasion et le sens de mon périple.
Je me suis alors engagée dans plusieurs projets de volontariat. L'un deux consistait à œuvrer pour la protection des tortues marines sur la côte Caraïbes. Le camp sur la plage, isolé par la jungle d'un côté et la mer de l'autre. Pas d’électricité, pas d’eau courante, juste quelques cabanes en bois, des hamacs et l’océan à perte de vue. Les nuits étaient rythmées par les cris des singes hurleurs et le grondement des vagues. Ma mission : patrouiller sur la plage chaque nuit pour protéger les nids des prédateurs et des braconniers. La première fois que j’ai vu une tortue luth sortir de l’eau, j’en ai eu le souffle coupé. Elle avançait lentement, traçant de profondes sillées dans le sable, avant de commencer à creuser son nid. Pendant près d’une heure, j’ai assisté à ce rituel millénaire, éclairé uniquement par la lumière des étoiles.

Ces expériences ont donné un autre sens à mon voyage. Je ne faisais plus que passer : je participais, je partageais. J’ai appris à cultiver des fruits tropicaux, à construire des abris à partir de récupération et à cuisiner des plats que je n’aurais jamais imaginé aimer. Ce voyage qui était simplement une exploration géographique, se transformait doucement en redécouverte intérieure.
J'ai ensuite continué ma route jusqu'au Canada en passant par le Nicaragua, le Guatemala, le Belize, le Mexique et la Californie.
Traversée du Canada à travers différents jobs saisonniers
Quand je suis arrivée au Canada, je ne savais pas trop combien de temps j’allais rester. Je me suis vite rendu compte qu’il me faudrait travailler un peu pour financer la suite du voyage. J’ai enchaîné plusieurs boulots : aide dans un lodge de pêche en Colombie-Britannique, serveuse dans un bar de motards et même guide de chiens de traîneaux dans le Nord du pays.
En arrivant dans les Territoires du Nord-Ouest, j'ai plongé dans l'immensité sauvage du Canada. Là, j’ai travaillé deux saisons en tant que guide d'activités extérieures, une expérience qui m’a profondément marquée. S'occuper d'une meute de huskies, chacun avec sa personnalité et son énergie débordante, était certes une première pour moi ! Au fil du temps, je sentais un lien se créer entre les chiens et moi. Ils m’ont appris à les écouter et à comprendre leurs humeurs. Les températures étaient glaciales, frôlant parfait les -50 degrés celsius. L'air glacé mordait mes joues, mais il y avait quelque chose de magique dans cette immensité gelée. Voir ces huskies s’élancer à pleine vitesse, leurs oreilles battant au rythme de leurs pattes foulant la neige, c’était une sensation de liberté pure. Je n’oublierai jamais ces moments où j’étais seule avec eux, le soleil rasant l'horizon au loin et les cris des huskies brisant la quiétude de l’immensité.

Ce fut aussi l'occasion de rencontrer le peuple Inuit qui vit dans ces régions extrêmes. Leur mode de vie, leur profonde connaissance du territoire et leur relation harmonieuse avec la nature m’ont inspirée. Ils incarnent parfaitement la force tranquille de ceux qui vivent en harmonie avec leur environnement, malgré les défis imposés par un climat si rude.
Ces périodes de travail ont été l’occasion de m’immerger dans le quotidien local. Entre deux jobs, je continuait d'explorer le Canada à bord d'un van aménagé que je m'étais dégoté sur place. J'ai randonné dans les Rocheuses, parcouru l'île de Vancouver, et passé des nuits à observer les aurores boréales dans le Grand Nord. Chaque jour, je me rapprochais un peu plus de l’Alaska, même si ce n’était pas une véritable « destination ».
L’Alaska, la dernière frontière
Et puis, un matin, j’y étais. L’Alaska, la dernière frontière. Cette terre immense, sauvage, hors du temps. L’arrivée a été moins un aboutissement qu’une prise de conscience : ce voyage n’avait jamais été une question de destination. L’Alaska n’était pas la fin, juste une nouvelle page.
Je me suis arrêtée là, le temps de souffler, de réfléchir à ce que ces deux années avaient changé en moi. La jeune femme partie sans plan précis avait grandi. Elle avait appris à faire confiance au chemin, à se laisser porter par l’inattendu et à apprécier les détours.
Les premières nuits dans mon van, la pluie tambourinait sur le toit et le silence oppressant de la forêt était seulement rompu par les craquements inquiétants des branches. Chaque bruissement me faisait sursauter, persuadée qu’un grizzly rodait autour du véhicule. Loin de la civilisation, je réalisais pleinement ce que signifiait être au cœur de la nature brute, où l’homme n’est plus qu’un simple invité. Peu à peu, j’ai apprivoisé cette solitude, et ces nuits sont devenues des moments d’écoute et de contemplation.

Un jour, en suivant une rivière, j’ai été témoin d’un spectacle que seuls les documentaires animaliers semblaient pouvoir offrir : un grizzly en pleine chasse. Postée à une distance sécuritaire, le souffle court, j’ai regardé cet immense prédateur plonger ses griffes dans l’eau tumultueuse et ressortir un saumon frétillant. En quelques secondes, la scène s’est achevée dans un éclaboussement, et le festin a commencé. La force brute de la nature dans sa plus simple expression.
Dans les fjords du sud, l’Alaska m’a aussi offert des instants de douceur. Lors d’une excursion en kayak, j’ai croisé le regard curieux de loutres de mer flottant sur le dos, se tenant par la patte comme pour ne pas se perdre dans les vagues. Elles m’ont observée un instant avant de replonger sous l’eau avec une aisance désarmante, disparaissant dans un ballet aquatique insouciant. C’était un autre visage de cette terre sauvage : non plus celui de la rudesse, mais de la grâce et de la légèreté.
L’Alaska n’était pas une destination, mais une révélation. Ce territoire m’a montré que l’inconnu, aussi intimidant soit-il, recèle des moments de pure magie pour ceux qui osent s’y aventurer.
Des vents du sud aux lumières du nord : une nouvelle vocation est née
Aujourd’hui, je regarde cette aventure avec le sourire. Deux ans sur la route, des milliers de kilomètres, et une traversée qui m’a menée jusqu’en Alaska, bien plus loin que ce que j’aurais imaginé. Elle n'a pas été parfaite, loin de là. Mais elle était vraie, honnête, pleine de rencontres et de moments suspendus.
J’ai maintenant pris une décision : me réorienter professionnellement pour devenir guide d’expédition à la journée en milieu polaire. Cette idée s’est imposée presque naturellement. Elle réunissait tout ce que j’avais découvert sur moi-même au cours de ces deux années : mon amour pour les grands espaces, mon besoin de mouvement, ma capacité à m’adapter aux différents extrêmes de la nature et à guider les autres dans ce type d’aventure.

Ce voyage a été la plus grande école que j’aie jamais connue. Et je sais qu’il n’est qu’un début...
Merci Bianca pour ce passionnant récit.
L'école de la vie au grand air est la plus belle des écoles.
Tu as traversé de grands espaces mais tu as surtout appris à te connaître.
Je te souhaite de merveilleux moments et de belles rencontres lors de ta nouvelle aventure professionnelle.
Je t'embrasse.
Hélène